dimanche 11 novembre 2007

De l'emmerdeur en politique



Le saviez-vous ? l’emmerdeur constitue un danger pour la démocratie. Dis comme ça, cela semble une plaisanterie alors que c’est très sérieux. Permettez-moi d’en tenter la démonstration.

Où le trouver ?
Notre emmerdeur (E ) redouté sévit de préférence en soirée, lors des réunions d’associations, de partis politiques, de comités de quartier et (chic !) à chaque occasion que propose la démocratie participative. La vie professionnelle avec sa hiérarchie lui donne moins l’occasion de s’exprimer et souvent, il ne peut donner toute sa mesure qu’au moment où il prend sa retraite. On le trouve suivant un pourcentage constant dans chaque époque, chaque société où il représente – admettons - 1 %. Dans un parti politique, le taux monte assez facilement à 5 % alors que dans un comité de quartier ou une réunion de concertation, on observe parfois des pointes à 15 ou 20 %.

Comment le reconnaître ?
- E est venu pour parler, pas pour écouter, les réponses à ses questions l’indiffèrent à peu près ;
- E a un sujet en tête qu’il est décidé à exposer. Que ce sujet soit sans rapport avec le thème de la réunion ne peut pas le dissuader d’en parler ;
- Le sujet favori de E concerne en général un thème universel comme le trottoir où habite E.
- E est indifférent aux arguments invoquant l’intérêt général, concept qui lui échappe à peu près complètement ;
- Dans des cas extrêmes mais finalement assez fréquents, E est très agressif, il cherche un angle pour critiquer ses interlocuteurs et y emploie toute son intelligence (E n’est pas forcément un imbécile) ;
- Si à un moment, vous avez le sentiment que tout ce que vous pourrez dire est inutile, si vous sentez très découragé, que vous doutez de la démocratie et de « l’intelligence collective », c’est très probablement que vous êtes en train de débattre avec E.

Un peu de psychologie
E n’est sans doute pas quelqu’un de très heureux dans la vie. Sa famille ou ses amis, s’il en a, ne le supportent plus et se réjouissent qu’il exerce son goût de la polémique hors de leur cercle. Parfois, on soupçonne que les seuls rapports humains de E sont ceux qu’il a à l’occasion
du conseil de quartier ou de la réunion de section du PS (mais chez les Verts, au modem et à l’UMP, il est aussi présent). Si E est du genre agressif-hargneux-aboyeur, c’est que c’est le seul contact un peu intense qu’il sait établir.
E est sans aucun doute à plaindre. Il aurait besoin d’un peu de notre compassion (mais il ne l’aura pas).

Un danger pour la démocratie
La plupart des réunions politiques ou participatives reposent sur l’idée de laisser librement les citoyens s’exprimer. E vient en force à chacune de ces occasions et montre ses capacités à chacun. En prenant la parole, il peut transformer une ambiance conviviale en foire d’empoigne. Les gens normalement constitués, de bonne volonté, sont rarement assez motivés pour endurer ce genre de personnage. Il faut être un professionnel de la politique ou de la médiation pour cela. Du coup la proportion déjà élevée – nous avons admis 5 % - va augmenter du fait du retrait d’une partie des autres. Dans certain cas, E se retrouve même tout seul, comme un virus qui a détruit l’organisme dans lequel il s’était implanté. Il ne lui reste plus qu’à aller chercher une autre proie.
À l’heure ou la démocratie représentative s’essouffle, nous sommes nombreux à compter sur la participation citoyenne pour revivifier la vie politique. E est plus qu’un grain de sable dans le dispositif, il peut le faire capoter.

Ce qu’il faut éviter
L’une des solutions pour contrer E est de cesser de faire de la démocratie participative. La tentation est grande pour les élus. Mais le plus simple est d’ailleurs de continuer à en faire mais sans rien en attendre, comme un mal nécessaire : laissons-les discuter et décidons entre nous comme d’habitude. C’est la mauvaise solution par excellence. Elle renforce justement la position de E qui considère qu’il y a un complot contre lui et qui arrive même à être convaincant si on lui en donne le prétexte.
Un cercle vicieux entraîne les citoyens, menés par E, à nourrir toujours plus de ressentiment contre les politiques ou les technocrates. La méfiance des uns alimente le mépris des autres. Le dialogue devient à peu près impossible. E a réussi à contaminer tout le monde.

Un espoir de solution ?
La démocratie participative, en Allemagne par exemple, peut utiliser le procédé du jury tiré au sort pour débattre ou décider d’une question locale. Les membres du jury sont peu nombreux, défrayés s’ils travaillent, formés aux problèmes qu’ils doivent traiter. E est bien sûr présent dans le système mais ramené à 1 % au lieu d’être surreprésenté. Il est pratiquement inoffensif.

Et pour les partis politiques ?
Une autre façon de renforcer la démocratie est d’arriver à convaincre de plus nombreux citoyens de participer à la vie partisane. Pas de vraie démocratie sans partis politiques influents, avec des adhérents nombreux et une réelle démocratie interne. La plupart des pays d’Europe sont d’ailleurs dans ce cas. La France est une exception. Le PS belge par exemple compte autant d’adhérents en Wallonie que l’ensemble du PS français.
Or si E reste actif dans les partis, cela pose aussi un problème pour l’attractivité de la vie politique et donc pour la démocratie.
Sur cet aspect malheureusement, je suis à cours d’idées. J’attends des suggestions.


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mercredi 7 novembre 2007

Comme un arbre dans la ville



« Il faut rompre avec la conception minérale de la ville » et, à l’instar de Los Angeles ou New York qui ont décidé de planter 1,5 million d’arbres sur leurs territoires, « il faut qu’à chaque citoyen lyonnais corresponde un arbre ». Ces idées sont issues du livre programme (1) de Philippe Genin, porte-parole de Dominique Perben.
En lisant cela, je me suis senti envahi par une bouffée de sympathie pour ce personnage.

Je suis amateur des dessins animés de Miyazaki, avec leurs arbres géants, leurs dieux de la forêt et toute leur poésie écologiste. Comme je travaille et milite dans la politique depuis quelque temps, cela m’a donné des idées en d’autres occasions : aux municipales de 2001, j’avais suggéré" un parc pour chaque arrondissement" et "100 000 arbres pour le Grand Lyon". Constater que quelqu’un d’aussi influent que ce Philippe Genin ose à son tour ce genre de proposition me réjouit beaucoup. Elles étaient jusqu’ici l’apanage des rêveurs. L’époque serait-elle en train de changer ?
Comme je suis par ailleurs un adversaire politique de messieurs Perben et Genin, je suis enclin à avoir un regard critique. Attention néanmoins au procès d’intention et examinons le projet objectivement.

Planter des arbres pour quoi faire ?
Non. Je ne discuterai pas du bien fondé de planter des arbres. Cela peut bien sûr être justifié par des arguments sur la lutte contre le réchauffement climatique. Les arbres sont des pièges à carbone, des usines à oxygène, des climatiseurs naturels, des réducteurs de pollution… Mais vouloir planter des arbres correspond à une aspiration moins utilitaire. L’arbre (racines - tronc – branches) est une métaphore de nos vies avec et nous sommes nombreux à entretenir un rapport très affectif avec lui. Pour ma part, j’aime les arbres et je souhaite qu’il se multiplient. Je trouve qu’ils rendent le monde plus beau. C’est une idée un peu niaise, pas très rationnelle, mais j’aurais du mal à m’en défaire. Philippe Genin a semble-t-il la même. Après tout pourquoi pas ?

Combien d’arbres exactement ?
Lyon peut difficilement se comparer à Los Angeles ou New York, pour la superficie comme pour la population. Le chiffre de 1,5 million n’est donc pas à retenir en premier. Comme l’idée d’un arbre par habitant est avancée et que nous sommes 470 000 lyonnais, c'est ce chiffre qui me sert de référence.
Il existe aujourd’hui 25 000 arbres d’alignement à Lyon. En rajoutant les jardins publics et parcs, on peut estimer la population actuelle autour de 75 000.
Pour suivre l’idée de Philippe Genin, il faudrait donc rajouter près de 400 000 arbres soit une véritable forêt urbaine.

Combien ça coûte ?
Planter un arbre avec mise en place de terre végétale revient entre 150 et 300 euros l’unité, suivant la variété et la taille du sujet. Ce coût représente peu de chose à comparer avec les opérations de réaménagements de voiries qui accompagnent les plantations mais laissons cela de coté. Le budget de l’opération peut donc être évalué à 600 millions d’euros minimum.

Où et comment ?
Il est possible (mais pas spécialement souhaitable) de renforcer le nombre d’arbres dans les jardins. Il paraît bien sûr plus logique de mettre des arbres là où il en manque. Une petite part seulement des avenues et rues de Lyon a des arbres d’alignement. La raison en est l’étroitesse des rues mais aussi parfois que les arbres ont été supprimés dans les années 50 et 60 : c’est le cas de l’avenue Berthelot ou du cours Emile Zola à Villeurbanne. Les recommandations de l’urbanisme hausmannien étaient de consacrer un tiers de la largeur des boulevards à la chaussée et les deux autres tiers aux trottoirs plantés d’arbres sur deux rangs chacun. Le boulevard de la Croix Rousse en est un exemple préservé. L’arrivée de la voiture en ville a remis en question ces équilibres. Il fallait de la place pour rouler et stationner. Les arbres en ont fait les frais.
Pour planter un arbre il faut environ 4 m2. Son projet représente donc 160 hectares à affecter aux arbres. Seule la réaffectation d’une partie de l’espace consacrée à la voiture, stationnement et circulation, permettrait de réaliser ce projet.
Il y a aujourd’hui environ 100 000 places de stationnement sur voirie à Lyon soit à 10 m2 par voitures environ 100 hectares. Cela donne une idée de la nature des changements qui nous sont proposés puisque la suppression de la totalité du stationnement sur voirie ne suffirait pas accueillir tous ces arbres.
C’est dommage car l’aspect de la ville serait énormément modifié par ce projet. L’effet sur la qualité de l’air serait considérable car la présence des arbres et l’absence des voitures se conjugueraient.

Faut-il les croire ?
Poser la question après ces quelques chiffres implique une bonne dose d’ironie bien sûr. Ce projet, vous l’avez noté, n’est tout simplement pas sérieux. C’est dommage car il sollicite l’imaginaire : il fait rêver.

Alors il n’y aura pas de forêt urbaine à Lyon ? sans doute pas, sauf bien sûr, si l’idée séduit d’autres que Philippe Genin et moi-même, qu’un candidat sérieux(2) se pose la question de la place de l’arbre dans la ville et de ce qu’il est raisonnable de faire pour l’améliorer. Le bilan du Grand Lyon sur ce mandat est d’ailleurs très intéressant car avec plus de 70 000 sujets aujourd’hui, la population des arbres d’alignement a augmenté de 24 % ces 6 dernières années.

J’espère avoir l’occasion de revenir bientôt sur ce sujet avec des propositions concrètes.




(1) Des extraits en ont été publiés par Lyon Capitale la semaine dernière. Il a été commenté notamment dans les blogs de Jean-Yves Sécheresse et Romain Blachier
On y apprend que le reste n'est pas plus crédible que cette affaire d'arbres mais c'est une autre histoire.
(2) Ce que semble indiquer le livre de Philippe Genin, c'est que le choix se résume pour le moment à Gérard Collomb

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